La scène paraît irréelle. Finale provinciale. Séance de tirs au but. Un gardien jette ses gants avant de tirer, l’autre arrête sans gants. Le public rit, crie, filme. On se régale du chaos. Mais derrière l’anecdote, une question : que reste-t-il de la base ? Savoir frapper. Savoir décider. Savoir finir.
C’est précisément là qu’Ali Gerba a planté son drapeau. Ancien international canadien, ex-Impact, il débarque sur le plateau et lâche sa bombe tranquille : « J’ai appris à frapper… à 24 ans. » En Europe, un coach l’a pris à part. Geste par geste. Surface, appuis, contact. Le buteur a découvert tard ce que tous devraient assimiler tôt. De cette prise de conscience est né Complete Striker, à Montréal. Un centre de perfectionnement qui remet l’art du tir, du contrôle et des déplacements au cœur de la formation.
Gerba ne vend pas du rêve. Il parle d’atelier. De sueur. « Un tir, c’est faire une bonne passe. Si tu ne sais pas faire une bonne passe, ça va être difficile devant le but. » Son diagnostic sur la scène locale est frontal : trop d’attaquants qui piétinent dans la surface, trop de gestes lents, trop peu d’anticipation. Les clubs travaillent, oui. Mais les fondamentaux fuient. On s’éparpille dans le tape-à-l’œil. On oublie la répétition utile. « Répéter le geste, répéter le geste, pour que ça devienne naturel en match. »
Dans son centre, la promesse n’est pas glamour. Elle est structurée. Gym complet, salle de récupération, terrain réduit pour jouer vite dans le petit espace, staff de mise en forme, suivi médical. Des pros et internationales passent en off-season, en toute discrétion. On vient pour affûter une arme, pas pour un post Instagram. Il raconte ces sessions où l’on dort sur place une semaine avant la présaison, comme une mini-bulle de haute performance. Et rappelle une vérité que les parents n’entendent pas toujours : on ne progresse pas en trois mois. Parfois il faut un an. Deux ans. Parfois davantage.
L’approche est globale : technique, lecture, et mental. Gerba insiste sur cet aiguillon invisible, la “shortness”, l’état d’alerte qui permet d’être prêt avec quatre touches dans 45 minutes. Il a vécu le rôle d’attaquant isolé, celui qui entre à la 82e et doit faire basculer un match : « S’il fait l’erreur de me mettre 5 minutes, je bute. » Derrière la punchline, une hygiène mentale. Se tenir dans le match sans ballon. S’impliquer par ses appels, son placement, son langage corporel. Se préserver de la frustration.
Autre clé : la spécialisation par poste, encore timide en Amérique du Nord. Au foot, un préparateur ne suffit pas. Le neuf doit maîtriser le jeu dos au but, l’appui-remise, l’art de se retourner vite pour re-faire face au cadre. Cela s’enseigne. Cela se répète. Cela se corrige. Gerba le dit sans détour : on confond trop souvent variété d’exercices et qualité d’apprentissage.
À Montréal, l’actualité lui donne raison. On a vu des fulgurances, on a vu des trous d’air. Un jeune peut empiler les dribbles et tomber en frappant, un autre peut créer dans le demi-espace et manquer la dernière demi-seconde. Le débat sur les rôles (titulaire, super-sub), la gestion des minutes, l’adaptation au synthétique… tout ramène à la même racine : la précision, la vitesse d’exécution, la décision. Les bases.
Complete Striker ne s’adresse pas qu’aux attaquants. « Un défenseur doit savoir finir, un gardien peut tirer un penalty », rappelle Gerba. Parce que la technique, aujourd’hui, est partout. Les ballons sont plus fins, plus vifs. Les fenêtres de tir plus courtes. Les marges, minuscules.
Reste une question d’accès. Là encore, le projet s’ancre dans le réel. La Fondation Ali Gerba soutient des jeunes sans moyens sur plusieurs saisons. Bourses, accompagnement, coups de pouce. Le message est clair : on n’oublie pas d’où l’on vient. L’ascenseur doit redescendre. Et pour nourrir cet effort, des levées de fonds s’organisent. Ici, la performance se conjugue au social. Former des buteurs, oui. Former des personnes, surtout.
Le moment tombe à pic. Le Supra Montréal arrive en CPL. Nouvelle vitrine pour les talents du Québec. Gerba salue l’énergie de ceux qui montent ce projet. Cette passerelle peut devenir le chaînon manquant entre nos terrains de quartier et la scène pro. Si l’on y injecte les bonnes bases, des minutes, de la patience, le Québec peut fabriquer ses finisseurs au lieu d’espérer des météores.

On peut sourire du gardien sans gants. On peut s’enflammer pour un coup franc qui file sous la barre. Mais si le soccer québécois veut grandir, il doit sortir du hasard. Revenir aux bases. Multiplier les lieux qui forment, les voix qui exigent, les structures qui accompagnent. Complete Striker n’est pas une formule magique. C’est un pas de plus vers un écosystème qui accepte de regarder le détail en face, de le répéter jusqu’à la justesse. Et d’ouvrir les portes à ceux qui n’auraient jamais pu y entrer.
Parce qu’au bout de la chaîne, il y a un gamin ou une gamine qui, un soir d’été, reçoit un ballon à 16 mètres. Tout va vite. Un appui, un regard, un contact propre. Filet qui tremble. Et derrière la joie, l’évidence : ce but-là n’est pas le fruit du hasard. C’est le produit d’une société qui a décidé de prendre au sérieux l’art du geste. Et de le partager.