Foot pour tous : à Montréal, un ballon qui rouvre des portes

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La salle est modeste, l’énergie immense. Avant même d’ouvrir le débat, l’équipe du KAN FC remercie sa communauté pour un prix d’excellence médiatique. Puis on bascule dans une autre excellence, plus silencieuse : celle des vies qui reprennent souffle par le foot. Ce soir-là, la Canadian Street Soccer Association (CSSA) raconte comment un sport simple, un ballon et deux filets, peut recoller des morceaux d’histoires brisées. Montréal devient terrain d’accueil.

« Nous utilisons le soccer comme outil d’inclusion pour les personnes socialement exclues : sans-abri, nouveaux arrivants, personnes en rétablissement, familles à faible revenu, » pose d’entrée l’un des responsables. Pas de jargon : des lieux accessibles, des horaires fixes—parce que certains participants n’ont ni téléphone ni courriel. « Un social coach pour la relation humaine, un sport coach pour le jeu. On court, on parle, on se reconnecte. »

À Montréal, Bob a frappé aux portes des refuges, des missions, de la Ville. « Le soutien a été incroyable, à 100 %. On nous prête des créneaux intérieurs, on nous aide à lancer le programme. » Un lancement officiel est prévu, puis des séances régulières dès janvier. On annonce des partenaires, des bénévoles, et surtout des visages qui, bientôt, n’auront plus peur de dire leur nom.

L’angle est clair : le foot comme processus de réhabilitation, pas comme vitrine de performance. « Je ne cherche pas le prochain Beckham, je cherche celui ou celle qui gagnera le plus socialement à être là, » explique l’invité. Les sélections pour les tournois—régionaux, nationaux, Homeless World Cup—se feront à l’impact humain, pas au nombre de passements de jambes. Il le dit avec une douceur britannique : « C’est mettre un sourire sur un visage. Le reste suivra. »

Les histoires, elles, frappent au plexus. Ed, d’abord. Au bord du vide après la perte de sa famille et de son emploi, il accepte une invitation au programme. Il s’accroche. Un an plus tard, il est retenu pour la sélection canadienne de la Homeless World Cup à Mexico (2012). Puis vient la formation d’arbitre, la certification, la confiance, la place dans le jeu et dans la vie. Aujourd’hui, Ed dirige des programmes en Ontario et officiera la finale de la Homeless World Cup à Oslo. « Nous embauchons d’abord des personnes à l’expérience vécue, » insiste l’équipe. Ed n’est pas une exception : il est un repère.

Il y a aussi cette petite victoire qui vaut de l’or. Un participant, appelé ici BBE, ne disait pas son prénom. Silencieux, fuyant. Les semaines passent, il joue, s’accroche au cadre. Un jour, l’animateur arrive avec des crampons trop voyants, empruntés à son fils. BBE l’attrape : « Coach, t’es stylé aujourd’hui ! » Blague légère, carapace qui tombe. Puis viennent le prénom donné à haute voix, les confidences, ce petit emploi symbolique : apporter ballons et filets. « On ne sait pas où il ira, mais on ouvre des portes. » C’est ça, l’addition invisible des micro-succès.

La méthode est humble et exigeante. Horaires stables, cadre sécurisant, exigence de présence, mais sans punir les absences. Une ville qui répond, des clubs qui prêtent des heures de terrain, des instances qui écoutent. Et un modèle qui veut se structurer : « Le bénévolat ne suffit pas. On vise le statut caritatif, des commandites, des subventions. Pour former, salarier, créer des rôles taillés pour celles et ceux qui reviennent doucement à l’emploi. Leadership, communication, responsabilité. »

Ce soir-là, Montréal est citée en exemple national. On rêve déjà de qualifier des joueurs et des joueuses qui porteront la feuille d’érable lors des prochains rendez-vous internationaux du mouvement. Pas pour “gagner des trophées”, pour gagner des trajectoires. Dans le studio, on hoche la tête : le foot, ici, n’est pas un décor. Il est outil social.

La suite de l’émission glisse vers l’actualité du CF Montréal et de la MLS, mais l’écho reste le même : au-delà des organigrammes, des départs et des arrivées, le soccer tient une promesse commune—celle de faire appartenir. La haute compétition compte, bien sûr. Mais ce qui tient une ville, ce sont ces espaces où l’on se remet debout. Où l’on existe d’abord par son prénom, pas par ses statistiques.

Reste une question, posée sans emphase : quelle place donne-t-on à ces projets dans l’écosystème du foot québécois ? Les clubs pros peuvent ouvrir leurs installations une fois par mois. Les municipalités peuvent réserver des créneaux dédiés. Les partenaires privés peuvent financer des postes-passerelles, ces petits emplois qui reconstruisent l’estime. Les médias—nous les premiers—peuvent raconter ces histoires avec la même rigueur que les analyses tactiques.

« Le sport, selon l’ONU, c’est forme physique, bien-être mental, lien social. Nous, on essaie de faire les trois, » résume l’un des invités. Le reste est simple : un ballon, un horaire, une poignée de main à l’entrée. Et, parfois, un arbitre qui siffle la finale à Oslo après avoir dormi dehors. Foot pour tous n’est pas un slogan : c’est un itinéraire. À Montréal, il commence ici. À nous de tracer la suite.