Le ballon roulait encore dans les têtes deux semaines après la montée. Sur la pelouse, les joueuses du CS Saint-Laurent venaient de décrocher leur billet pour la Ligue 1 féminine. Un moment rare, fondateur. Et à la barre, un coach au regard direct et au discours sans détour : Sidi Mohamed Farah.
« On est encore dans les bilans, avoue-t-il. Mais c’est sûr qu’on est super satisfait. C’est une belle réalisation pour le club, et surtout pour la section féminine. »

Un parcours façonné par l’immigration et l’apprentissage
Originaire du Maroc, passé par l’Université de Montréal comme joueur, Farah a dû couper court à sa carrière pour s’installer au Canada. Le ballon est revenu plus tard, avec l’appel du coaching en 2014.
« J’ai commencé dans un petit club à Westmount. Deux équipes au départ, 15 à la fin, plus de 400 jeunes. C’est là que j’ai tout appris sur le foot amateur québécois. »
Un apprentissage empirique, ancré dans le quotidien des terrains synthétiques du Québec. Farah y a construit sa philosophie : mêler rigueur tactique et sensibilité humaine.
Féminin et masculin : deux mondes différents
Farah n’élude pas la question. « Le foot féminin et le foot masculin, c’est deux choses différentes. Les gars sont déjà drivés, motivés à compétitionner. Les filles, elles, cherchent surtout un environnement où elles vont se sentir bien pour donner le maximum. »
Autrement dit, le rôle du coach dépasse la tactique. Il touche à la cohésion, au sentiment d’appartenance. « Une joueuse doit se sentir partie prenante du groupe pour performer. »
La mission de vie
Le mot revient souvent : mission. Pour Farah, entraîner n’est pas un métier accessoire, mais une trajectoire existentielle. « Je veux que mes joueuses retiennent qu’avec le travail, tout est possible. Moi, en tant qu’immigrant, j’y crois profondément. »
Sa philosophie de jeu reflète cet état d’esprit. Le coach parle du football comme d’un jeu d’échecs. Créer des supériorités numériques, bouger sans cesse, utiliser le ballon comme levier. Pragmatique aussi : « Si le gardien peut faire une passe qui mène au but, parfait. Sinon, on s’adapte. »
Un manque de reconnaissance criant
Au détour d’une phrase, Farah lâche un constat brutal : « Je pense que les filles se sentent moins valorisées. » Exemple frappant : l’équipe nationale féminine de futsal s’apprête à jouer aux Philippines avec plusieurs joueuses de Ligue 1. Pourtant, presque personne n’en parle.
Ce déficit de reconnaissance pèse. Pourtant, sur les terrains, l’enthousiasme existe. Chaque dimanche, les petites U12, U13, U15 viennent encourager l’équipe première. « C’est ce qui motive, confie Farah. Créer un modèle, une vitrine. »
Vision pour St-Laurent
La promotion en Ligue 1 n’est pas une fin. C’est un début. L’objectif est clair : offrir des opportunités aux jeunes de 19–20 ans, créer un pipeline qui mène à l’élite semi-pro, et pourquoi pas plus loin.
« Plus tu gagnes, plus tu as d’exposition. Et plus les portes s’ouvrent. »
Mais encore faut-il que la structure suive. Farah plaide pour une Ligue 3 féminine, indispensable pour compléter le cheminement des joueuses.

Un foot qui rassemble
Farah ne parle pas que de tactique. Il parle de ferveur. Au Maroc, il suffisait de tendre l’oreille un dimanche pour savoir si le Raja ou le Wydad avait marqué. Un but se répercutait dans tout le quartier.
Il rêve de retrouver cette atmosphère ici. « Le foot a besoin de rivalités. Pas d’ennemis, mais d’adversaires qui se challengent. Ça crée une énergie autour des matchs. » Il cite même des collectifs de blogueurs comme Panenka qui, selon lui, ajoutent du piquant à l’écosystème.
Le parallèle avec Arsenal
Questionné sur ses inspirations, Farah évoque Arsène Wenger. Pas seulement pour le jeu. Pour la vision. « Il aurait pu acheter des joueurs. Mais il a préféré investir dans l’avenir. J’aime cette logique. Et puis il a étudié l’économie, comme moi. »
Un clin d’œil à son propre cheminement : investir dans la structure, construire patiemment, plutôt que chercher des raccourcis.
L’ouverture : un enjeu pour toute la société
Le cas de Saint-Laurent dépasse un club. Il interroge la place du soccer féminin au Québec. Comment donner une vitrine à ces jeunes filles ? Comment valoriser un talent qui existe, mais reste trop souvent ignoré ?
Après 2026, beaucoup imaginent une explosion du nombre de licenciées. 4000 aujourd’hui, peut-être 7000 demain. Mais qui encadrera ces joueuses si les structures stagnent ?
Farah est clair : il faut des clubs phares, des ligues adaptées, et un récit collectif qui donne envie aux jeunes de persévérer. « Le foot m’a tout donné, dit-il. Des amis, des opportunités d’étude, une vie. Si je peux rendre ça aux autres, surtout aux filles, alors ça vaut la peine. »
Conclusion
À Saint-Laurent, une équipe féminine vient de gravir un échelon. Mais c’est tout un mouvement qui frappe à la porte. Entre passion, structure et reconnaissance, l’histoire du soccer québécois féminin s’écrit en ce moment.
Et si l’on veut que les petites U12 qui encouragent le dimanche deviennent les leaders de demain, il faudra que la société, les clubs et les institutions embrassent ce virage.
Parce qu’au fond, comme le répète Sidi Mohamed Farah : « Tout est possible avec le travail. »