Lundi 11 novembre. Studio chaud, jingle qui claque. “Le jour où j’ai gagné le prix, on a perdu en demi-finale.” La phrase tombe, simple, droite. Elle résume Gabriel Balbinotti. La joie du MVP RSEQ. La piqûre de la défaite. Et ce drôle d’endroit où se trouve le soccer québécois en 2025 : entre élan et structures, entre rêve pro et réalisme.
Balbinotti a 26 ans. Un pied sur les terrains universitaires de l’UQTR, l’autre en PLSQ avec les Celtix de Richelieu. Un passé de pro, déjà. Fury d’Ottawa, puis Forge FC en 2020, au cœur de la bulle COVID. Surtout un présent dense : 9 buts en 11 matchs, première équipe U Sports, et un diplôme en kinésiologie en ligne de mire. “Je suis beaucoup dans le moment présent”, dit-il, sans effet de manche. “J’essaie de vivre ce que je vis. Performer. Le reste viendra… ou pas.”
Universitaire vs PLSQ : deux mondes, une même faim
Le débat est vieux comme les vestiaires. L’universitaire serait “à des années-lumière” des clubs régionaux ? Balbinotti nuance. “Le niveau est assez similaire. Beaucoup de joueurs font les deux.” La différence se niche ailleurs. “L’université est plus solide. Infrastructures. Encadrement. Et ce côté famille : les partisans portent leur campus.” La PLSQ, elle, gagne en métier. “Tu croises des gars expérimentés qui ne sont pas à l’université. Ça tire le niveau vers le haut.” Deux ligues, deux cultures. Des pour et des contre. Une même faim de jouer.
Grandir avec les cicatrices
L’Académie de l’Impact (2012–2016) fut une école de patience. Un prêt à Ottawa. Pas de contrat MLS. Pas de ressentiment non plus. “Aucun regret sur ce que je ne contrôlais pas.” Il préfère regarder à l’intérieur. Les buts ratés. Les choix carrés. La maturité venue avec les années. C’est le fil rouge de l’entretien : apprendre, se tromper parfois, revenir.
La bulle 2020 avec Forge ? Un condensé. “Tout ferme. Plus d’entraînements. J’allais sauter une clôture pour toucher le ballon.” Il sourit. C’était dur. Enfermé. Douze matchs pour tout dire et trop peu de minutes. Mais de la matière pour forger un joueur qui s’adapte, qui invente, qui ne lâche pas.
Le virage coach
Depuis 2023, Balbinotti entraîne. U21 à Trois-Rivières. On devine un plaisir neuf. “J’adore vraiment ça.” Il parle d’influence. De Wilfried Nancy. De cette idée qu’on gagne d’abord par la clarté. “Plus tu parles clairement, plus les joueurs comprennent. La distance ? Je n’y crois pas trop. Discuter règle beaucoup de choses.” On l’interroge sur le “gap” d’âge. Il s’en méfie peu : “On a des amis en commun, on se comprend. L’important, c’est dire les choses.”
Ce goût du banc n’annule pas l’appel du terrain. Il élargit l’horizon. “Vous me parlez d’un club CPL au Québec ? Les deux, 100 %. Joueur ou staff.” La réponse fuse. Elle dit l’époque. Les parcours hybrides. Les carrières qui se tissent entre l’herbe et le tableau noir.

Choisir son chemin… sans mode d’emploi
Dans les coulisses, beaucoup d’ados et de parents se posent la même question : NCAA ou contrat pro/CPL ? La voix de Balbinotti ne tranche pas à la hache. Elle pondère. “L’université donne un diplôme. Du temps pour mûrir physiquement. À 23 ans, tu es plus prêt qu’à 18.” Il sait aussi l’attrait du pro, l’urgence du rêve. Alors il dit “cas par cas”. Il invite à penser l’après. Les minutes réelles. Le contexte. L’être humain derrière la fiche.
Le collectif d’abord
On lui parle de ses titres. Il revient à l’essentiel. “Mon objectif, c’était gagner le titre canadien.” La récompense individuelle, c’est une validation, pas une arrival line. Et ce jour de trophée restera celui d’une demi-finale perdue. Une piqûre qui tient éveillé. C’est toute sa ligne : performer dans le cadre, tirer le groupe, puis accepter ce que le foot donne… et reprend.
Montréal, le chantier à ciel ouvert
Dans le tourbillon de l’épisode, on discute aussi du CF Montréal. Des profils manquants. D’un défenseur central d’expérience pour ancrer une défense à trois. De milieux capables d’épauler Saliba et Piette sur la longueur. Et d’un 9½/10 qui pèse sur les matchs. On parle mercato sans totem. On parle identité. Montréal cherche son tempo. Le public, lui, répond quand on lui parle vrai.
Plus grand que le match
La dernière image est simple. Une soirée de jour du Souvenir, une radio qui tourne, un joueur qui dit sa vérité sans se couvrir. Balbinotti raconte un Québec qui se structure, pas à pas. Universités qui investissent. PLSQ qui se durcit. CPL qui frappe à la porte de la province. Et des jeunes qui, demain, n’auront plus à choisir entre rêver et étudier. Entre partir trop tôt et se tailler.
Alors, la question dépasse le rectangle vert. Quel chemin voulons-nous pour nos talents ? Un chemin qui tient compte du cerveau autant que des jambes. Qui forme des entraîneurs autant que des buteurs. Qui permet d’échouer vite, d’apprendre vite, de revenir. Qui donne à Montréal—et au Québec—non seulement des équipes, mais des histoires.
“Je n’ai pas tourné la page du foot,” glisse Balbinotti. “J’aime trop jouer.” On l’entend. On y croit. La suite ? Peut-être une touche à gauche en PLSQ. Peut-être un tableau noir, très bientôt. Peut-être les deux. Et c’est bien ainsi. Parce que le soccer québécois grandira aussi par ces carrefours. Par ces vies doubles. Par des voix qui osent dire, comme lui, que le présent compte. Et que l’avenir, finalement, se gagne ensemble.



