Un lundi soir comme les autres au micro du KAN Football Club. Mais ce soir-là, l’invité n’a rien d’ordinaire. L’ancien défenseur de l’Impact de Montréal, Hassoun Camara, entre en scène. Devant lui, pas seulement un public de passionnés, mais une communauté qui l’a vu tacler, célébrer, souffrir et triompher. Aujourd’hui, Camara ne porte plus de crampons, mais une nouvelle mission : faire grandir les talents d’ici à travers Starting XI, un centre de formation qui bouscule les codes du soccer québécois.
« Ça va bien, vraiment bien, dit-il d’entrée. Je me sens bien en tant qu’homme, en tant qu’entrepreneur. Le défi, après une carrière de footballeur, c’est de trouver une raison de se lever le matin. Starting XI, c’est ma façon de rendre au foot ce qu’il m’a donné. »
De l’Impact au terrain de l’éducation
L’histoire de Camara avec Montréal est connue. Héros d’un soir contre Toronto, leader silencieux dans les vestiaires, visage incontournable du club au début des années MLS. Mais derrière le joueur, il y a toujours eu l’homme réfléchi, avide de projets.
Aujourd’hui, avec son associé Chakib, il veut combler un vide : offrir aux joueurs québécois un cadre professionnel, même en dehors de la saison. « L’hiver, quand j’étais pro, c’était une galère, raconte-t-il. Trois mois à essayer de garder la forme tout seul. CrossFit, jogging… mais ce n’est pas pareil. Tu as besoin de compétition, de collectif. »
Starting XI est né de ce constat. D’abord pensé comme un lieu d’entraînement pour pros en congé, le projet s’est élargi : seniors amateurs, jeunes, et désormais une académie féminine. Tous réunis par la même philosophie : pédagogie, plaisir, exigence.
Pourquoi un “centre de formation” ?
Dans un Québec où l’on parle surtout d’“académie”, le choix des mots est loin d’être anodin. « La sémantique est importante, insiste Camara. En Europe, le centre de formation, c’est plus qu’un lieu. C’est une école de vie. Moi, je n’ai jamais connu ça, alors c’est ma façon de le vivre autrement, après ma carrière. »
L’ancien Marseillais se souvient de son arrivée à l’OM en 2006. Dans le vestiaire, des géants : Cissé, Zenden, Nasri. « J’étais timide, je n’osais pas m’affirmer. J’ai confondu humilité et effacement. Aujourd’hui, je veux que les jeunes québécois évitent ce piège. Ton potentiel technique peut être énorme, mais si tu n’oses pas le montrer, tu passes à côté. »
C’est cette alliance entre talent et personnalité que Starting XI veut forger.

Les valeurs au cœur du projet
Lors d’une rencontre avec parents et jeunes, Camara ne parle pas d’abord de dribbles ou de pressing. Il parle d’école, de citoyenneté, de valeurs humaines. « Je ne suis pas là pour vendre du rêve. Pas là pour promettre le prochain Patrice Bernier ou la prochaine Marinette Pichon. Le foot doit être un outil de développement personnel. Quand tu rentres chez toi heureux d’avoir joué, que tu appliques les valeurs du soccer dans ton quotidien, tu as gagné. »
Pour encadrer, Starting XI a sélectionné des éducateurs capables d’incarner cette philosophie. « La pédagogie d’abord. Savoir communiquer avec les jeunes. Les inspirer. »
Des ponts avec l’Europe et l’Amérique
Le projet n’est pas qu’un discours. Les partenariats sont concrets. Le Sporting Club de Bastia a envoyé ses entraîneurs à Montréal pour partager méthodes et savoir-faire. L’Olympique de Marseille, Nice, et l’Olympique Noisy-le-Sec – club formateur de Camara – ont ouvert des canaux d’échange.
« Ce n’est pas juste des logos sur un site, précise-t-il. Ils sont venus, ils ont vu, ils ont aimé le talent ici. Et nous, on est allés là-bas. Il y a un vrai pont qui se crée. »
Avec Chakib, le centre structure ses filières : Élite (pros et semi-pros), Starting 1 (universitaires, collégiens), Starting 2 (AA/AAA), et Junior. Objectif : progression pour tous, sans exclusion.
Et au sommet ? L’accès au monde pro. « On veut donner une vraie opportunité. Que ce soit via des clubs européens, des universités américaines ou des partenariats locaux. »
Une comparaison avec l’UNFP
Camara évoque l’UNFP en France, ce syndicat qui accompagne les joueurs sans contrat. « J’y suis passé, ça m’a sauvé. Sans entraînement collectif, tu t’éteins. Starting XI veut offrir ça aussi : un espace pour garder le rythme, la confiance, la joie de jouer. »
Ouvert au public, le centre attire déjà étudiants, amateurs curieux et entraîneurs locaux. « On échange avec les clubs PLSQ, on veille à ne pas surcharger les joueurs. L’idée, c’est de compléter, pas de remplacer. »
L’entrepreneuriat comme seconde peau
Au fil de l’entretien, une autre facette émerge : celle de l’entrepreneur. Camara multiplie les projets, de la restauration à Paris aux médias, mais le soccer restait absent. « On me disait : pourquoi pas coacher ? Mais je n’en avais pas envie. Là, avec Chakib, tout s’est fait naturellement. Cinq minutes autour d’un café, et c’était parti. »
Chakib confirme : « Au départ, je voulais juste donner un coup de pouce aux joueurs. Puis l’hiver dernier, avec l’arrivée des pros, on a compris qu’on tenait quelque chose. Là, on a décidé d’investir plus sérieusement. »
Le regard sur le CF Montréal
Impossible d’inviter Camara sans lui parler de son club de cœur. Son analyse est lucide : « La saison 2024 a été décevante. On parle de projets, de transition… mais ce qu’on veut, ce sont des résultats. Courtois est un bon gars, mais il faut du temps, de la stabilité, et surtout des joueurs de caractère. Montréal devrait regarder vers la France, la Ligue 2, ou le Sénégal. Il y a du talent abordable qui peut faire la différence. »
Une voix aux JO de Paris
Dernier chapitre : son expérience comme analyste pour Radio-Canada aux Jeux olympiques de Paris 2024. « Peut-être l’expérience de ma vie, confie-t-il. Revenir en France, parler aux Canadiens, montrer Noisy-le-Sec, donner la parole aux jeunes, rappeler le rôle des grandes figures noires de Paris… C’était du sport, mais aussi de la société. Et puis, rencontrer Céline Dion à la veille de la cérémonie… ça, c’était fort. »

Un enjeu plus grand que le terrain
En quittant le studio, une impression demeure : Starting XI dépasse la simple formation de joueurs. C’est un projet social, culturel, identitaire.
Dans un Québec où le soccer reste en quête de reconnaissance, Hassoun Camara et son équipe proposent autre chose : une école de vie par le sport, ouverte à toutes et à tous, enracinée localement mais tournée vers le monde.
« Ce qu’on nous souhaite pour 2025 ? La santé, du plaisir, et continuer à bâtir, » conclut Camara.
Un message simple, mais qui résume tout. Parce qu’au fond, le soccer n’est pas qu’une question de buts ou de titres. C’est une question d’humains.