De Sherbrooke au Belize : la vie nomade de Julio Moreno, coach québécois aux racines latines

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Julio Moreno

Julio Moreno a l’habitude de dire qu’il est « québécois avec des racines latines », mais sa trajectoire ressemble davantage à un itinéraire de globe-trotter qu’à un CV de coach classique. Né à Montréal de parents chiliens arrivés en 1975, ancien numéro 10 stoppé net par une cinquième opération au genou à 28 ans, il a transformé une carrière brisée en parcours nomade: Sherbrooke, Brossard, Chili, Grèce, retour au Chili, CF Montréal, Panama, puis aujourd’hui la première division au Belize.

Un numéro 10 condamné à réfléchir le jeu

Quand sa dernière blessure en Argentine l’oblige à renoncer à un contrat en troisième division, Moreno bascule brutalement de la pelouse au banc. L’université de Sherbrooke lui offre alors un point de chute: il y restera trois saisons et demie, amenant le Vert & Or dans le top 10 canadien et bousculant les grandes universités montréalaises. À Brossard, en semi-pro, il signe une deuxième place dès sa première saison, confirmant qu’il sait déjà organiser un vestiaire d’adultes plus qu’encadrer un simple groupe de jeunes.

Dans son discours, l’ancien meneur de jeu n’a jamais vraiment quitté le terrain: il se définit par son amour de la technique, des joueurs agiles, de l’attaque, même s’il martèle aujourd’hui « l’importance d’une base défensive solide » comme fondation de toute équipe compétitive. Sa formation préférée est le 3-5-2, justement parce qu’elle lui permet de saturer le milieu, d’occuper les couloirs et de multiplier les connexions offensives, tout en gardant une structure stable derrière.​

Chili: le choc de la vraie culture foot

Le premier grand saut arrive quand un ancien joueur de la famille l’appelle du Chili pour lui proposer une opportunité dans un pays où le football n’est pas un loisir, mais une identité nationale. Au prix d’un long processus d’homologation de ses diplômes UEFA, québécois et canadiens, il décroche une licence pro chilienne et découvre le quotidien du haut niveau comme adjoint à Ñublense, puis à San Marcos de Arica et dans les structures d’Audax Italiano et de Deportes Puerto Montt.

Là-bas, il voit des stades pleins, des supporters qui vivent chaque minute, des joueurs techniquement brillants, parfois trop confiants, qu’il faut convaincre de jouer plus simple, de lire le jeu plutôt que de tenter le dribble de trop. Ses équipes de jeunes à Puerto Montt vont jusqu’à gagner leur catégorie, au point que la presse locale s’intéresse à ce « Canadien qui entraîne au Chili » au moment où la Roja tutoie le top 3 mondial avec Vidal et Alexis Sánchez.

La parenthèse grecque: sauver un club, repartir

La Grèce arrive presque par hasard, mais les destins de Julio ont souvent la forme d’un coup de fil au bon moment. Deux anciens joueurs chiliens, légendes de l’OFI Crète dans les années 80, le réclament comme adjoint: il est le seul du staff à posséder une licence UEFA, indispensable pour travailler en première division grecque. Pendant six mois, il découvre un vestiaire cosmopolite – Serbes, Arabes, Français, Anglais – et une culture où la tactique prime parfois sur la créativité.

Le staff parvient à sauver l’OFI de la relégation, mais l’aventure s’interrompt net: l’entraîneur principal ne reçoit pas l’équivalence de licence exigée par l’UEFA, le projet explose et tout le monde rentre à la maison. Moreno retourne souffler à Montréal, avant de filer de nouveau au Chili, cette fois avec Deportes Iquique en première division, en plein contexte de pandémie.

Le Covid, les entraînements Zoom et la fatigue du corps

Après ses passages au Chili puis à Provincial Ovalle en troisième division, Moreno finit par rentrer au pays pour souffler et se rapprocher de sa famille à Brossard. Les années Covid l’ont déjà obligé à bricoler des plans d’entraînement individuels et des séances en petits groupes, entre coupures de saison et contraintes sanitaires, tout en assumant aussi des tâches de préparation physique grâce à sa formation universitaire dans ce domaine.​

Cette période laisse des traces sur son corps autant que sur sa tête. Son genou, déjà opéré plusieurs fois, le rappelle constamment à l’ordre, au point de devenir un paramètre central de la suite de sa carrière. C’est dans ce contexte qu’il repartira plus tard au Panama, avec l’idée cette fois de s’assurer que son corps lui permettra réellement d’exercer son métier au quotidien.​​

CF Montréal, psychologue de vestiaire et retour aux sources

Avant le Panama, le point de chute suivant se trouve à quelques stations de métro du centre-ville: CF Montréal. Le club lui ouvre la porte de son programme féminin et de l’académie, où il intervient comme entraîneur adjoint et formateur auprès des équipes U16 et U18. Pour Moreno, c’est à la fois un retour symbolique au soccer québécois et une manière de se ré-enraciner dans un projet structuré, alors que le programme féminin du CF Montréal devient l’un des pôles forts de la Ligue1 Québec.

C’est aussi à ce moment qu’il choisit de régler définitivement son problème de genou: l’opération intervient entre son départ du CF Montréal et son arrivée au Panama, lui permettant de repartir à l’étranger avec un corps enfin réparé. Quand Herrera FC l’appelle pour un rôle d’adjoint en première division et d’entraîneur principal de la réserve en deuxième division, il peut accepter en sachant qu’il pourra de nouveau bouger, frapper le ballon et incarner physiquement ce qu’il demande à ses joueurs.

Polyglotte de Montréal, citoyen du vestiaire mondial

Si Moreno se sent à l’aise dans des clubs aussi éloignés que l’OFI Crète, un club chilien de province ou un groupe panaméen, c’est aussi parce qu’il porte Montréal en lui. Il parle français, anglais, espagnol, comprend le grec, et a grandi entouré d’amis immigrants, de cuisines différentes, de cultures superposées.

Dans un vestiaire grec, il brise la glace en parlant nourriture et plats typiques avec les joueurs étrangers, en passant spontanément du français à l’anglais avec un coéquipier, en glissant un mot d’espagnol à un Sud-Américain. Au Belize aujourd’hui, cette capacité à créer un lien en quelques phrases reste son arme la plus précieuse: les joueurs le classent vite dans la catégorie des coaches qui « comprennent » plutôt que dans celle des figures lointaines qui imposent seulement des consignes.

Une philosophie flexible, mais une obsession: faire progresser

Tactiquement, Julio refuse les dogmes, même s’il assume son penchant pour le jeu offensif et le 3-5-2. Il préfère parler de « styles de jeu » plutôt que de système figé: deux ou trois plans, modulés selon les forces de son effectif et la nature de l’adversaire, avec toujours l’idée d’exploiter au mieux ce que ses joueurs savent faire. En Amérique centrale et au Canada, il insiste sur la clarté tactique, pour compléter un profil plus physique; en Amérique du Sud, il canalise la créativité technique; en Europe, il cherche à injecter un peu plus de spontanéité dans un cadre très structuré.​

Ce qu’il refuse, ce sont les environnements toxiques: les joueurs qui s’insultent en entraînement, la négativité, la fragmentation du vestiaire. Il prépare le mental dès le début de la semaine, utilise la visualisation, des clips motivants, des messages calibrés avant les matchs à enjeu, surtout quand il s’agit de maintien ou de séries. Son objectif est simple: que le groupe arrive au coup d’envoi avec plus de cohésion que l’adversaire, même si le talent brut est équivalent.​

Le rêve européen, l’appel du Québec

À 45 ans, Moreno parle sans détour de son ambition: revenir en Europe, entraîner en première ou deuxième division, et, dans un monde idéal, pousser jusqu’à la Premier League ou un géant comme le Real Madrid ou le Barça. Il n’en fait pas un slogan, plutôt une ligne d’horizon. Entre les deux, il se verrait bien revenir au Québec, prendre en main un projet professionnel – CF Montréal, Roses, Supra – et montrer qu’un coach reconnu à Sherbrooke, passé par la première division chilienne et par la Grèce, peut être une ressource locale et non un profil exotique.

Il admet ne pas être le plus actif sur les réseaux, conscient qu’un certain « oubli » a pu s’installer pendant ses années à l’étranger. Mais il avance un argument difficile à ignorer: licences pro Concacaf, licence UEFA, expériences multiples en première division, trilingue, et un parcours qui prouve une chose – ses équipes progressent, même quand elles ne terminent pas championnes.

Un coach qui veut gagner, mais surtout laisser une trace

Ce qui le fait rester dans le métier, ce n’est pas seulement la perspective de lever un trophée ou de monter de division. C’est l’idée de voir un joueur quitter son vestiaire meilleur qu’en entrant, sur le plan humain autant que sportif. Moreno aime le processus autant que le résultat: les conversations dans le tunnel, les doutes partagés, les jeunes qui prennent confiance, les adultes qui retrouvent du plaisir.youtube​

Au Belize aujourd’hui, à une distance d’un vol direct de Montréal, il continue d’empiler les séances, les matchs, les ajustements tactiques. Et si ses rêves le projettent vers l’Europe, un morceau de lui reste accroché à la Rive-Sud, dans ces terrains où il a commencé à coacher, genou opéré, mais regard déjà tourné bien plus loin que la ligne médiane.

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