Kyt Selaidopoulos : construire le futur du foot au Canada

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Kyt Soccer Montreal

Le studio du KAN Football Club bourdonne. Rentrée des classes, rentrée du foot. Ce soir-là, l’invité n’est pas là pour bercer d’illusions : Kyt Selaidopoulos, adjoint au Forge FC et sélectionneur du futsal canadien, parle franc, concret, avec la tranquille assurance de ceux qui ont vu le terrain sous toutes ses lumières. Son fil rouge tient en trois mots : vision, exigence, patience. Mais pas l’attente passive. L’action.

« Si on continue à penser petit, we stay small. » La phrase claque. Elle résume son diagnostic sur l’écosystème québécois et canadien : la base explose, le sommet cherche sa forme. « On est en 2025. Dans un an, on a une Coupe du monde dans notre pays. Les clubs doivent se demander : c’est quoi nos prochaines étapes ? » La foule des licenciés a décuplé, les structures peinent à suivre. L’équation est connue : sans cap, l’élan se disperse.

Quinze ans pour une “première”

Selaidopoulos sait d’où il parle. Fils d’immigrants grecs, il a suivi ses frères vers le soccer avant que la passion ne s’impose. Joueur, éducateur, sélectionneur, entrepreneur. Une route où l’on apprend à encaisser, à ajuster. « Je suis très ouvert à apprendre, à grandir, et à la critique, » dit-il simplement. Son parcours a accouché d’un plan technique, peaufiné depuis 2014-2016, transposé du masculin au féminin en futsal. Résultat : qualification historique des Canadiennes pour le Mondial. Rien d’un coup de dés : « Ce n’est pas un travail de deux semaines. On a travaillé quinze ans. »

Et l’ambition n’a rien d’un slogan. « On ne va pas à la Coupe du monde pour s’asseoir et défendre. On s’en va pour jouer… Est-ce qu’on va gagner un match ? Je te dis oui. » L’assurance est calme, presque douce. Elle vient d’un logiciel clair : chaque camp ajoute un module, chaque rassemblement élargit l’outillage. Le progrès comme routine.

Appartenance et ancrage

La conversation bifurque sur le dilemme d’appartenance des binationaux. Kyt tranche : « Oui, on est immigrants. Mais on est aussi Canadiens. » Dans un pays qui lui a « beaucoup donné », sur fond de Coupe du monde 2026 à domicile, il croit que le choix du Canada devient naturel. Message aux jeunes : assumer ses racines, ancrer son futur ici. Et construire.

Futsal, l’outil oublié

Construire, c’est aussi nommer les angles morts. Au Québec, le futsal reste un parent pauvre, souvent pratiqué par… des joueurs de soccer. « Est-ce qu’on a vraiment un joueur de futsal dans notre pays ? La réponse est non. » Les ligues structurantes manquent, la RSQ vit en privé, les clubs jonglent avec des priorités. Pourtant, rappelle-t-il, « dans le monde, les plus grands joueurs viennent du futsal ». Ici, il en fait un outil : accélérateur de vitesse technique, de lecture, d’intensité. Surtout entre 15 et 18 ans, la fenêtre d’or.

Former un pro : au-delà du contrôle orienté

Former un pro dépasse le contrôle orienté intérieur-extérieur et les appuis en triangle. Kyt met le doigt sur l’essentiel : l’hygiène de vie, l’autonomie, la routine. « Est-ce que le jeune sait bien manger ? bien dormir ? faire son sac ? » La question paraît banale, elle est déterminante. L’adulte qu’on bâtit conditionne le joueur qu’on dévoile. « Si je le mets à Toronto, est-ce qu’il peut se débrouiller ? » C’est un test simple. Et exigeant.

Clarifier les filières

Sur le terrain des idées, Selaidopoulos propose net. Séparer les parcours. « Les élites U13 à U18 doivent vivre leur filière, leurs standards, sans s’entraîner à côté du local. » Pas pour créer des castes, mais pour clarifier les attentes, rythmer la progression, calibrer les charges. « Ça prend une vision : pour le local, pour les 11-12, pour les 13-18, pour le semi-pro. » L’image qu’il convoque est scolaire : primaire, secondaire, cégep — chaque étage a sa pédagogie. Le foot, pareil.

Fenêtre de tir : CPL au Québec

Le moment est fragile : l’après-2026 peut être un tremplin ou une falaise. « On peut passer de clubs de 4 000 à 8 000 membres. Est-ce qu’on stabilise ou on crash ? » D’où l’importance de l’arrivée d’une équipe de CPL au Québec. Bonne nouvelle, dit-il, si la structure suit : passerelle vers le haut niveau, capillarité avec les clubs, accès pour les jeunes. La pyramide ne tient que si chaque marche appelle la suivante.

Autorité d’aujourd’hui

Dans le vestiaire, sa méthode épouse l’époque sans renier l’exigence. « Parle aux jeunes avec respect et clarté. » Moins de cris, plus d’explications, plus d’égal à égal. « Fais-le se sentir important, il fera ce que tu lui demandes. » L’autorité change de vêtement, pas de contenu. Elle s’exerce dans la relation.

Briques quotidiennes

Le reportage tient aussi à des visages. Kyt Selaidopoulos cite des talents suivis, défend l’idée d’un repérage patient et d’un accompagnement individualisé : gérer les caractères, sécuriser les contextes, doser les défis. Il parle aussi en entrepreneur : KS Soccer (ex Kid Soccer), des camps qui accueillent plus de 2 500 jeunes par an. Le développement, chez lui, est un verbe du quotidien. Et ses rituels — ne jamais sortir pour le warm-up avec l’équipe nationale — disent son besoin de cadre.

Ouverture : penser grand… et juste

Si la base gonfle et que l’exigence monte, qui paie l’ascenseur ? Le foot québécois grandit dans un pays cher, où l’accès au sport se heurte vite aux frais, aux déplacements, aux horaires. L’appel à « penser business » doit rencontrer un autre impératif : penser inclusion. Bourses, mutualisation d’infrastructures, calendriers intelligents, partenariats écoles-clubs : l’après-2026 sera jugé à l’aune de ces choix.
Au bout du micro, l’objectif reste clair : penser grand. Pour que la croissance ne soit pas une bulle, mais un bien commun. Et que l’amour du jeu — « le soccer, le plaisir », dit Kyt — demeure la porte d’entrée, pas un luxe.