Monika Dharia, Green Gear Supply : vers un foot qui respire

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La pluie tombe fine sur le boulevard Pie-IX. Les supporters pressent le pas vers le stade, capuche serrée, sandwich dans une main, billet dans l’autre. Une question flotte, tenace, entre deux rafales : peut-on aimer ce sport à la folie… sans étouffer la planète ?

« On peut. Mais il faut commencer par regarder nos poubelles », glisse Monika Dharia, fondatrice de Green Gear Supply. Venue raconter son parcours, elle parle peu de slogans et beaucoup de logistique : tri, flux, matières, coûts. Son terrain de jeu ? Les stades, leurs habitudes, leurs contraintes. « Le premier match, c’est un audit des déchets. Tu comprends ce qui sort du stade… et tu découvres quoi faire entrer. »

À Montréal, l’idée résonne. Le public a changé : plus jeune, plus informé, plus exigeant. « Les fans nous challengent. Ils veulent du foot, mais ils veulent du sens », confie un bénévole d’un club amateur de l’est de la ville. Compostage, vaisselle réutilisable, transports partagés : des mots qui semblaient accessoires, aujourd’hui deviennent des leviers d’expérience. On ne vient plus seulement “voir un match”, on vient appartenir à quelque chose.

Le récit de Monika commence loin du Stade Saputo, sur le campus détrempé de Duke University. Trop d’averses, trop de ponchos jetés. « Les “éco” options… n’étaient pas si éco. On a testé en labo : certaines faisaient plus de mal que de bien. Alors on a conçu autre chose. » Des ponchos pensés pour durer, des sacs transparents conformes aux règles de sécurité mais repensés en matériaux et en chaîne d’approvisionnement. Le football américain a servi de rampe de lancement : Philadelphia Eagles, tests grandeur nature, puis déploiements. Et cette phrase qui claque : « Ne me dites pas “impossible” ; parlez-moi des contraintes. »

À Montréal, les contraintes ont un accent. L’hiver. Les pluies soudaines. Les systèmes de collecte qui varient d’un arrondissement à l’autre. « Ce qui marche en Floride ne marche pas forcément ici », rappelle Monika. La clé : contextualiser. Où va le gobelet ? Qui gère le compost ? Et quand un concert occupe l’enceinte, à qui imputer l’empreinte carbone ? La réponse n’est pas romantique, elle est opérationnelle. « Le “carboneutre” dépend toujours de ce que vous comptez : scope 1, 2, 3. Si on n’aligne pas les définitions, on aligne mal les efforts. »

Dans les tribunes, on aime les gestes concrets. « Dis-moi où jeter, et je le ferai », dit Amélie, abonnée depuis dix ans. Encore faut-il que les bacs soient lisibles, visibles, accompagnés. Et que le club assume le rôle d’entraîneur hors terrain. Là encore, Monika renvoie la balle au staff : « Aux fans de questionner ce qui paraît trop beau pour être vrai. Aux clubs de valoriser les bonnes pratiques. Trois retours positifs bien rédigés dans un sondage peuvent débloquer une initiative. »

Reste l’éternel écueil : le prix. « Neuf fois sur dix, les équipes choisissent la solution la plus durable… si elle est au bon coût. » Elle cite l’exemple des marathons : pour 5 $ par participant, on peut basculer tout un système (sacs, contenants de boisson, recyclage de gels, couvertures thermiques). Cinq dollars, c’est peu à l’échelle d’un dossard. C’est énorme à l’échelle d’un budget qu’il faut défendre ligne par ligne.

Le foot québécois n’échappe pas au débat. Dans les clubs, on mutualise les lessives, on écoule les stocks avant d’acheter, on troque la fast-fashion contre des collections capsules plus sobres. Certains dirigeants recrutent des sustainability managers. Il y a cinq ans, le poste n’existait quasiment pas. Aujourd’hui, il structure des passerelles entre l’opérationnel, le marketing et la communauté. « Quand un club crée ce rôle, c’est un signe fort : on s’organise pour durer », souligne Monika.

Et les pros ? « Ce sont les rôles modèles d’aujourd’hui. Si un cadre de vestiaire met un poncho réutilisable sous la pluie, ça parle à des milliers de jeunes. » L’organisme EcoAthletes les forme à reconnaître les vraies solutions des vitrines trop polies. Dans un paysage médiatique saturé, un geste simple peut parfois plus qu’une campagne bien léchée.

On se prend à imaginer Montréal dans dix ans. Des soirs de classique, une marée bleue arrive en co-voiturage ou en transport collectif. Les stands redistribuent les invendus. Les gobelets changent de main sans changer de poubelle. Les sacs transparents ne finissent plus dans le vent. « Je vois 50 à 75 % des clubs aller loin, très loin. Les autres suivront quand fans et joueurs pousseront dans le même sens », prophétise Monika.

La pluie s’est arrêtée. Le stade ronronne, la ville respire. Le ballon repart. Le foot n’a pas “sauvé la planète”. Mais il a réduit son empreinte. Et surtout, il a offert un mode d’emploi : commencer petit, mesurer, corriger, recommencer. Le reste, c’est de la culture — ce que Montréal sait faire de mieux.
Enjeu de société : si nos stades deviennent des laboratoires du quotidien, ils peuvent accélérer ce que nos quartiers peinent à lancer. Du sport spectacle au sport exemple. Il n’y a qu’une ligne blanche à franchir.