Shany Black (UQTR) d’une petite institution à un géant du foot universitaire

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Shany Black uqtr

Shany Black a transformé le programme masculin des Patriotes de l’UQTR en l’une des références du soccer universitaire canadien, en misant d’abord sur la culture, l’exigence quotidienne et un jeu aussi direct qu’efficient.​

Un bâtisseur de culture à Trois-Rivières

Quand Shany Black prend officiellement les rênes des Patriotes à l’automne 2017, il hérite d’un programme respecté, mais loin du statut quasi « automatique » de candidat au podium national qu’il occupe aujourd’hui. Sa première obsession n’est ni le système de jeu ni le recrutement agressif, mais une refonte des standards de base : arriver à l’heure, être dans une condition physique irréprochable et assumer un professionnalisme quotidien digne d’un environnement pro.

Cette culture finit par devenir le véritable slogan interne du groupe : « petite institution, grandes ambitions », un mantra qui revendique le décalage entre la taille de l’université et ses prétentions sportives. Dans un réseau où certains mastodontes comme Montréal, UBC ou Toronto ont plus d’étudiants, plus de moyens et une tradition plus longue, UQTR se forge une identité de bastion serré, soudé, qui compense l’écart structurel par la cohésion et l’intensité.

2019, la nuit où tout bascule

Le point de bascule symbolique arrive en novembre 2019, lorsque les Patriotes décrochent à Montréal leur premier titre national U SPORTS en battant les Carabins sur leur terrain. Pour beaucoup, cette finale reste le manifeste footballistique de l’ère Black : une équipe lucide sur le rapport de force, prête à vivre sans ballon pendant de longues séquences, mais programmée pour « faire trembler » l’adversaire à chaque récupération.​

Face à une formation montréalaise bourrée de futurs pros, UQTR accepte d’être l’outsider souffrant, de défendre sa surface comme si chaque duel engageait la survie collective, puis de frapper violemment en transition dès qu’une fenêtre s’ouvre. Black l’avoue encore : si on rejoue ce match dix fois, UQTR ne le gagne probablement pas souvent, mais ce jour-là, le plan est exécuté au cordeau, du gardien auteur d’arrêts monstrueux jusqu’aux attaquants qui courent pour deux.

Un jeu « efficient », pas idéologique

L’un des malentendus sur les Patriotes version Black concerne le style. Beaucoup les classent dans la case « direct », comme si l’équipe reniait la possession par principe. Le coach nuance : l’objectif n’est pas de garder le ballon pour le symbole, mais d’en faire un outil d’efficience maximale, au service du contexte et des qualités du groupe.

Dans les grandes affiches, UQTR accepte sans complexe de renoncer à la domination territoriale si le rapport talentel l’impose, à condition qu’à chaque récupération, l’action ait une vraie capacité de nuisance. Le cœur de la méthode repose sur des repères très clairs pour les joueurs – savoir « quand faire quoi » – et un engagement total sans ballon, qui rend la solidarité défensive indissociable de la signature de jeu.

Recruter des hommes autant que des joueurs

La contrainte structurelle d’UQTR, c’est que presque chaque recrutement implique un déménagement, donc un choix de vie et un pari financier pour les joueurs. Résultat : la première question n’est pas « est-il assez bon ? », mais « veut-il s’immerger réellement dans une communauté où le sentiment d’appartenance compte autant que les minutes de jeu ? ».

Black et son staff multiplient les échanges, cherchent des retours d’anciens coachs, prolongent les discussions au-delà des highlights vidéo pour jauger le profil humain. L’idée est de bâtir une bande de « potes » capables de vivre ensemble au quotidien, de se soutenir quand le rôle est ingrat et d’accepter qu’une saison réussie passe parfois par zéro minute disputée, mais un apport massif à l’entraînement.

Un vestiaire de 31 joueurs et des décisions cruelles

Travailler avec un effectif qui tourne autour de 29 joueurs plus quelques partenaires d’entraînement permet à UQTR de reproduire en semaine des contextes de haut niveau, avec du 11 contre 11 permanent et une concurrence forte à chaque poste. Mais cela impose un coût émotionnel : chaque jour de match, 13 joueurs restent hors feuille ou sur le banc, de quoi mettre à l’épreuve la gestion des attentes et la capacité de communication du staff.

Pour Black, l’un des marqueurs du changement de dimension du programme est précisément le moment où l’UQTR peut se « permettre » de laisser en tribune des joueurs passés par des centres de formation ou ayant déjà goûté au niveau professionnel, sans que le groupe ne se fracture. La légitimité du projet se lit dans cette brutalité sportive assumée, mais contrebalancée par une transparence et une cohérence interne qui maintiennent l’adhésion.

L’universitaire comme vrai tremplin

Au-delà de l’UQTR, Black défend bec et ongles le modèle universitaire nord-américain, capable de marier études et soccer de haut niveau, ce qui reste quasiment impossible dans beaucoup de systèmes européens. L’interface CPL–U SPORTS offre aujourd’hui un chemin cohérent : un joueur peut être repêché, goûter au monde professionnel l’été, puis revenir compléter son parcours universitaire sans brûler ses années d’éligibilité.

Il reste cependant lucide sur les limites du format actuel : une saison automnale très courte ne peut, à elle seule, suffire au développement optimal. D’où l’effort pour enrichir le calendrier avec un hiver chargé – entre 12 et 14 matchs – et des rencontres préparatoires, afin d’atteindre un volume annuel autour de 35 matchs, plus conforme à une trajectoire de joueur en progression.

Grandir dans la défaite, pas seulement dans les titres

Si 2019 incarne le sommet émotif, deux défaites en prolongation, en 2021 puis 2024, restent pour l’entraîneur comme des cicatrices fondatrices. À chaque fois, UQTR tombe à une marche du championnat canadien, au terme de matchs où le moindre détail bascule du mauvais côté.

Ces échecs alimentent un rituel personnel : en fin de saison, Black se demande systématiquement s’il est encore « la bonne personne » pour mener le projet, si son niveau de compétence reste aligné sur les ambitions et les sacrifices demandés à ses joueurs, dont la quasi-totalité a quitté sa région d’origine. Le doute n’est pas une posture, mais un outil de calibration, qui l’oblige à revisiter ses certitudes même dans la réussite.

Un coach obsédé par l’humain

Derrière le technicien qui dissèque les plans de match, il y a un éducateur marqué par l’idée que l’universitaire doit transformer des adolescents en adultes. Dans son esprit, les années passées à Trois-Rivières coïncident avec une zone charnière de la vie : on arrive encore en fin d’adolescence, on repart comme un homme, avec un bagage de valeurs et de responsabilités qui dépasse le terrain.​

Cette approche se traduit par une présence assumée dans la communauté trifluvienne, où l’équipe se veut ambassadrice plutôt que simple locataire du campus. Le mandat du staff n’est pas seulement de gagner des matchs, mais de « rayonner » dans la région, de faire des Patriotes un point de rassemblement local autant qu’une machine compétitive.

Le plafond du modèle et ce qu’il faudrait changer

Interrogé sur le « plafond » du soccer universitaire québécois, Black refuse le catastrophisme. Pour lui, tant que l’infrastructure, l’encadrement médical, la préparation physique et les conditions de travail resteront proches des standards professionnels, le réseau pourra continuer de produire des joueurs capables de passer à la CPL, voire au-delà.

S’il ne devait modifier qu’une seule règle, il plaiderait pour une saison plus longue, qui débuterait plus tôt et permettrait d’ancrer davantage le développement dans la durée. Une évolution qui simplifierait aussi l’éternelle question de la surcharge entre universitaire, Ligue1/2 et autres circuits semi-pro, où les joueurs jonglent avec plusieurs maillots dans la même année

Héritage et image dans dix ans

Quand on lui demande comment il aimerait être perçu dans une décennie, Black ne cite ni un système de jeu ni une statistique. Il parle d’un programme qui continue de faire ses preuves, de faire grandir une « petite institution » qui n’a plus rien d’un petit poucet dans l’imaginaire du soccer québécois, et de laisser derrière lui une structure capable de survivre à son départ.

Le plus frappant, peut-être, est ce que ses interlocuteurs remarquent d’entrée de jeu : à chaque question, il ramène la lumière vers son staff, ses joueurs, son université. Dans un milieu où l’ego des entraîneurs déborde souvent de la ligne de touche, Shany Black a construit l’un des programmes les plus respectés du pays avec une arme paradoxalement rare à ce niveau : la cohérence entre son discours collectif et ses décisions quotidiennes.

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