Stéphanie Hill arrive avec le sourire et l’énergie d’une joueuse qui sait où elle va. Défenseure, mais pas seulement. Buteuse, parfois. Leader, souvent. Montréal sur le cœur, toujours. Son mantra tient en une phrase qui claque comme un contre bien senti : pas besoin de gagner la journée… il faut gagner la semaine.
Le premier souvenir qu’elle convoque est un but. Une roulette. Puis une frappe en lucarne. « Mon deuxième, contre Vancouver. » Elle rit aussi de son « premier pas beau », marqué « avec la cuisse » face à Ottawa. Peu importe l’esthétique, dit-elle, « ça reste un but ». La phrase résume le personnage : efficacité, détachement, lucidité.
Le cadre, c’est Montréal. Les Roses. Un projet neuf, porté par des figures locales. Annie Larouche, présidente. Isabelle Chevalier. Jean-François Crevier. « Sans eux, ça n’existerait pas, for real. » Ici, Hill joue chez elle. Et ça change tout. « Je ne pensais pas pouvoir le dire si vite : je suis joueuse professionnelle, dans ma ville. » Le rêve a pris corps. La responsabilité aussi.
Avant la pro, McGill. Bac, maîtrise, licence. Physiothérapeute diplômée. L’esprit et les jambes. Elle a été repérée plus tôt par Marinette Pichon, venue la voir quand elle portait les couleurs de Pierrefonds FC contre l’équipe féminine du CF Montréal. Un mot, puis un suivi. Puis une signature. La trajectoire d’une joueuse observée, comprise, projetée.
Dans le vestiaire, un staff complémentaire. Elle cite Antoine, ressource mentale autant qu’entraîneur. « Bonne personne, bonne présence. » Et un mot d’ordre : régularité. « Pas besoin de gagner la journée… il faut gagner la semaine. » La phrase revient comme un métronome. Elle cadre les cycles, stabilise les émotions, maintient la flamme.
Sur le terrain, Hill assume sa taille. « Présence physique, dans les duels et dans les airs. » Longtemps, les regards l’ont renvoyée au basket ou au volley. Elle n’en fait pas un drame. « Mes coachs ne m’ont jamais réduite à ça. » Avec le temps, l’estime de soi a suivi. « You grow to love yourself. » Aujourd’hui, elle aime être grande. Et ça se voit dans sa manière d’attaquer la trajectoire, de défendre en avançant, de gagner la première balle pour lancer la seconde.
L’autre pilier de son jeu, c’est le corps en mouvement. Le cardio. Les tours de parc. Les circuits. « On n’a pas besoin d’être la meilleure équipe si on est la plus en forme. » L’idée n’est pas neuve, mais elle prend une saveur particulière en fin de match, quand les touches de balle tremblent et que la lucidité s’achète en litres d’oxygène.
La compétitivité, elle, vient de la fratrie. « Mon frère adorait me battre à tout. » De là un goût de l’opposition, mais « d’une façon saine ». Gagner n’est pas tout. Grandir compte autant. On le comprend mieux quand elle évoque la blessure qui a bousculé ses plans. « J’ai dû réécrire mes objectifs. » Frustration, puis reprise. Résilience, en clair. Le mot ne sonne pas comme un slogan : il raconte des semaines de doute, des jours banals remplis d’exercices précis, des matins où l’on est un peu plus loin que la veille.
Le match, c’est aussi une musique. Afrobeats, beats français, « un peu d’AC/DC quelque part ». Une piste longue, sept ou huit minutes, pour charger. Visualiser. Se mettre à hauteur du défi. Les routines brisent l’angoisse. Elles réduisent l’inconnu. Elles tracent une ligne entre la joueuse et le chaos.
Quand Hill parle des Roses, son regard change. Elle veut que le nom s’impose. « Que les gens disent : oh my gosh, Les Roses de Montréal ! » Une référence, pas une parenthèse. Un club respecté, identifié, désirable. La barre est haute. C’est l’idée.
Et puis il y a le contexte. La couverture médiatique du foot féminin s’améliore, dit-elle, mais « on n’avait rien à la télé quand je grandissais ». L’accessibilité progresse, la curiosité aussi ; les ados viennent aux matchs, demandent des signatures. La Coupe du monde 2026, côté masculin, peut servir de levier. L’occasion d’accélérer. De convertir l’engouement en structures, en moyens, en rendez-vous réguliers. De faire mentir l’histoire longue où l’on regardait ailleurs.
Cette saison, Montréal a soufflé le chaud et le froid. Les attentes sont lourdes. L’équipe apprend à jouer sous projecteurs. « On est une nouvelle formation, mais spéciale. » L’objectif a été atteint : les séries. Pas de triomphalisme. « On a faim. » Là encore, Hill ramène au plan : une semaine après l’autre, un match après l’autre.
Dans les tribunes, on sent que quelque chose se tisse. Les supporters existent déjà. Ils reviendront les 27 septembre et 11 octobre. Ils verront une défenseure qui marque, qui parle simple, qui assume qui elle est. Ils verront aussi une ville qui s’installe dans le paysage du foot féminin pro. Une ville où une étudiante en physio devient pro, chez elle, entourée des siens. Une ville où la lucarne compte, mais où le « pas beau » comptera toujours si l’histoire avance.
La dernière image, c’est peut-être celle-ci : Hill gagne un duel aérien, pose la balle, relance propre. Rien de spectaculaire. Mais tout est là : maîtrise, calme, intention. Elle ne cherche pas à gagner la journée. Elle construit la semaine.
Reste l’ouverture. Le Québec a du talent, des clubs, des projets. Ce qui manque encore tient à la visibilité, à la régularité des retransmissions, aux passerelles entre universités, clubs formateurs et monde pro. C’est une question d’écosystème, donc de société : quels modèles veut-on offrir aux filles de 10 ans qui rêvent déjà ? Quelle place donne-t-on aux histoires locales pour qu’elles deviennent patrimoine commun ? Les Roses tracent une voie. À Montréal, le foot n’est plus seulement une passion. C’est un récit qui s’écrit au présent. Et Stéphanie Hill, grande par la taille, immense par l’exemple, en signe un chapitre solide.