La salle est modeste. Les voix sont familières. Le lundi soir, Montréal écoute KAN Football Club. Ce soir-là, un accent du Sud de la France s’invite : Vincent Orsida. Ex-directeur sportif à Boucherville, aujourd’hui à Champlain auprès des filles. Un technicien de terrain, mains dans le cambouis, idées claires. Et une obsession : transmettre.
« Je suis venu d’abord pour un projet de vie, avoue Orsida. Mais j’ai vite senti qu’ici, il y avait du potentiel… presque tout était à construire. » Le décor est planté. Le soccer québécois n’est pas un désert. C’est un chantier. Et il appelle des bâtisseurs.
Le plaisir, d’abord
Orsida a commencé par les jeunes. Longtemps. Pas par stratégie, par nécessité. Blessure lourde. Fin de saison. Le club lui propose : entraîne. Il dit oui. Et découvre sa boussole. « La clé ? Le plaisir et la transmission. Être éducateur, c’est un savoir, et un savoir-faire. On tient des vies dans ses mains. » Il insiste sur l’adaptabilité. Les parents. Les attentes. Les mirages. « On voit des ‘projets Mbappé’ partout. Il faut recadrer, expliquer, protéger. »
Ce regard n’est pas amer. Il est lucide. Et concret.
Structurer, communiquer, relier
À Boucherville, Orsida n’a pas cherché la posture. Il a monté une structure. Trois axes. « Les ressources humaines, pour un encadrement fiable. La communication, nerf de la guerre quand tu as 2500 membres. Le Centre de développement pour que les 4-12 ans tombent en amour avec le jeu. » Il crée des passerelles. Équipe première ↔ académie. Masculin ↔ féminin. Les jeunes voient les “grands”. Les éducateurs circulent. La culture s’installe.
Le mot revient souvent : appartenance. Parce qu’un club n’est pas une feuille d’excel. C’est une communauté.
Le mur du coût… et la guerre des clochers
Là où la voix se durcit, c’est sur l’argent. « Au Québec, le foot coûte cher. L’hiver, les infrastructures, les salaires, tout pèse. » La barrière est sociale. Et elle casse des vocations. S’y ajoute la concurrence entre clubs. « La guerre de territoires n’aide personne. Chez les filles, on voit parfois des équipes entières migrer. Chez les gars, c’est individuel. Au centre, il y a le joueur, pas nos ego. »
Il appelle un pacte. Mutualiser, trier mieux, plus tard. « Des départs avant 12 ans ? Incompréhensible. La pyramide compétitive commence vraiment à 15 ans. » L’objectif est simple : garder les enfants dans le sport. Longtemps. Sans les brûler.
Récréatif : la base oubliée
Sujet sensible. Le récréatif. Trop souvent, on le confie “au papa bénévole qui s’y connaît un peu”. Orsida refuse le fatalisme. « On avait des responsables techniques payés pour accompagner les parents. Pas parfait, mais ça structure. » Il plaide pour une vision provinciale claire. Moins de réformes tous les deux ans. Plus de continuité. Mélanger filles et garçons jusqu’à 8 ans. Rendre les parcours lisibles. « Le compétitif est plus simple à gérer que le récréatif. Mais c’est la base qui porte tout. »
Diplômes : utiles, mais situés
UEFA A. Stages en clubs pros. Clairefontaine. Il connaît l’élitisme, et ses mirages. « Le diplôme te donne des outils. Mais le terrain et le mentorat t’apprennent le métier. » Il met en garde contre la sacralisation du parchemin. « Au niveau amateur, le bon diplôme ne fait pas toujours le bon coach. Il faut surtout savoir où et avec qui tu vas l’utiliser. »
Le message aux jeunes entraîneurs est limpide : « Ne brûlez pas les étapes. Passez par tous les âges. Cassez-vous un peu les dents en récréatif. Cherchez des mentors. Restez fidèles à vos valeurs. »

Roses de Montréal : une fenêtre s’ouvre
Quand la conversation bascule vers le football féminin, Orsida s’illumine. « Les filles te font te questionner chaque séance. Elles te forcent à progresser. » L’arrivée des Roses de Montréal ? Un tremplin. « C’est frais, ça va venir. Leur staff est venu plusieurs fois à Champlain. Ça rend le rêve concret. » Il nuance : tout le monde ne signera pas aux Roses. Il faut une écosystème canadien plus large, des ponts avec l’universitaire, des clubs qui parlent entre eux.
Mais l’idée est là : le talent est ici.
Une scène, des défis, une méthode
Au fil de l’échange, on entend l’ADN d’un bâtisseur. Pas de grandes promesses. Des gestes. « Fidéliser le staff. Rendre visible la voie vers l’équipe première. Parler vrai aux parents. » Le football québécois n’a pas besoin d’un coup de baguette. Il a besoin d’une méthode. Et d’un peu de patience. « On lâche trop vite, dit Orsida. Laissons une idée vivre dix ans. On fera le bilan après. »
Il n’idéalise rien. Il ne dramatise pas. Il raconte ce qu’il voit. Des clubs gigantesques. Des budgets serrés. Des hivers longs. Et, au milieu, des enfants qui veulent jouer.
Et maintenant ?
Le reportage se termine, mais la question reste ouverte. Qui paie pour l’accès ? Comment on évite que le prix d’une cotisation décide du destin sportif ? Que fait-on, collectivement, pour que le récréatif soit formateur et joyeux, pas seulement rentable ? Si la Coupe du monde 2026 nous oblige à repenser un calendrier, profitons-en pour repenser aussi nos priorités.
Orsida a laissé une piste. « Servir le joueur. » Le reste — les querelles, les étiquettes, les classements — viendra après. Sur un terrain synthétique en janvier ou sur un gazon de juillet, l’enjeu dépasse la tactique. Il touche à ce que le sport raconte de nous : une province capable de bâtir ensemble, lentement, sûrement, et pour tous.