A quelques jours du début du Mondial de football féminin, l’équipe brésilienne n’a qu’une chose en tête : soulever la Coupe du monde. Pour prendre une revanche sur les Allemandes, qui les avaient battues en finale de l’édition 2007, mais aussi pour faire progresser la version féminine du sport national, longtemps interdite.

Des montagnes recouvertes de forêt atlantique, un joli lac, la paisible ville de Teresópolis est un cadre idéal pour s’entraîner. Mythique aussi, puisque c’est ici, dans le centre de Granja Comary, que les stars de la Seleçao, Neymar et Robinho, s’entraînaient régulièrement. Mais en ce début du mois de juin, c’est sur Marta et Aline, les perles de l’équipe féminine de football, que les projecteurs sont braqués. Séances tactiques, répétition des schémas de jeu, jogging, musculation… le programme est intensif. Kleiton Lima, entraîneur de la sélection brésilienne depuis janvier 2009, explique qu’il “travaille particulièrement l’aspect physique car c’est le point faible de mes joueuses, qui sont fines et de carrure légère. Elles jouent dans le groupe D contre les Norvégiennes, qui ont déjà remporté la Coupe du monde”.

“Mais avec notre technique de haut niveau et mon sens inné de la tactique, ces détails de poids seront compensés”, réagit en riant Aline Pellegrino, capitaine de l’équipe depuis plus de six ans. En Chine, lors de la précédente édition de la Coupe de monde (2007), les “Canarinhas” (“les petits canaris”, en référence au maillot jaune) s’étaient inclinées en finale face aux Allemandes (2-0). Un an plus tard, aux Jeux olympiques de Pékin 2008, elles avaient subi la loi des Américaines, également en finale. Deux médailles d’argent qui étaient les premières pour le foot féminin au Brésil, mais qui laissent un arrière-goût amer aux joueuses. “Cette année nous allons gagner en battant l’Allemagne à domicile et effacer le mauvaissouvenir de 2007, prédit Aline Pellegrino. Je me rappelle parfaitement de ce que j’ai ressenti en recevant ma médaille de vice-championne : un bonheur rapidement chassé par la frustration lorsque nos adversaires sont montées sur le podium et que retentissait We Are the Champions de Queen.” “C’est infernal, confirme la gardienne Andreia Suntaque, depuis aucune d’entre nous ne peut supporter cette chanson.”

INTERDICTION DE JOUER

Les Brésiliennes, pour déjouer la loi des séries, ont progressé et sont actuellement troisièmes au classement de la FIFA. Une performance remarquable au vu des obstacles qu’elles ont dû affronter : l’histoire du football féminin commence au Brésil en 1965, lorsque des femmes de Rio de Janeiro forment une équipe de football amateur. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre et rapidement les joueuses sont assez nombreuses pour organiser de petits tournois. Mais l’engouement est stoppé net : la dictature militaire (1964-1981) interdit aux femmes de pratiquer le football et d’autres sports considérés “masculins” comme le rugby, le polo et la lutte. La raison invoquée est que ces activités physiques mettent en danger l’appareil reproductif féminin.

Ce n’est qu’en 1986 que ce droit leur est de nouveau accordé. “L’association de la femme à l’espace domestique est une image qui imprègne toujours la société”, estime Maria Rosario Andrade, chercheuse spécialiste des questions de genre dans le sport. Même Patricia Amorim, première femme à diriger un club brésilien – le mythique Flamengo – fait de nombreuses allusions à la facilité pour une femme de bien gérer un foyer, et par conséquent un club de football… “Dans cette industrie, rares sont les femmes qui occupent des postes à responsabilité et celles qui ont réussi, comme Patricia Amorim, doivent lutter contre les doutes qui planent sur leur légitimité, leur crédibilité. Finalement le pays du football exclut les femmes de la passion nationale”, regrettent Marlon Messias Santana Cruz et João Narciso Barbosa Neto, professeurs d’éducation physique et auteurs d’une étude sur la discrimination dans le sport à l’école.

“BATAILLE IDÉOLOGIQUE ET SYMBOLIQUE”

“On ne balaie pas des centaines d’années de discriminations du jour au lendemain, commente Baby Siqueira Abrão, philosophe féministe qui a contribué à rompreavec ces clichés en devenant, dans les années 70, la première femme commentatrice de football. Le simple fait que les femmes s’invitent dans le pré-carré des hommes est déjà, en soit, une victoire.” “C’est une transgression qui renverse l’ordre établi et rompt avec la conception de la femme fragile, ajoute Maria Rosario Andrade. Le football reflète une société dans laquelle l’homme a toujours prédominé et est donc le terrain d’une bataille idéologique et symbolique.”Aujourd’hui, au-delà du combat pour plus de visibilité et de reconnaissance, les joueuses brésiliennes luttent au quotidien pour professionnaliser le football féminin.“Il est inadmissible que Marta, sacrée cinq fois consécutives meilleure footballeuse du monde par la FIFA entre 2006 et 2010 ait dû partir à l’étranger [en Suède et aux Etats-Unis] pour s’épanouir professionnellement. Il y a beaucoup de joueuses qui, pour vivre, jonglent avec d’autres activités et qui s’entraînent gratuitement.”

Ce n’est qu’en 2007, l’année où l’équipe a atteint la finale de la Coupe du monde, qu’a été créée la Ligue nationale féminine au Brésil. A titre de comparaison, le championnat de France existe depuis 1974. “Un titre mondial créerait un cercle vertueux”, explique Kleiton Lima. “En attirant les médias et les investisseurs, nous pourrons améliorer les conditions de travail et augmenter les salaires, ouvrir de nouveaux clubs et inciter les plus jeunes. En Europe, les adolescentes s’entraînent comme des pros, au Brésil c’est bien plus tard et lorsque les garçons gagnent déjà 10 000 reais (4 380 euros), les filles ne gagnent rien”, regrette l’entraîneur de la Seleçao.

La suite de l’article de Anne-Gaëlle Rico est sur  LEMONDE.FR